L’audiovisuel public britannique amorce sa décroissance

La BBC vient d’annoncer un plan de licenciements ainsi que l’arrêt de plusieurs chaînes linéaires dont l’une de ses deux chaînes enfants, afin de parer aux économies qui lui sont demandées tout en mutant davantage vers le digital. Cette annonce fait suite à la publication par le gouvernement britannique de son livre blanc fin avril, où ce dernier gèle la redevance le temps d’étudier comment la supprimer, et confirme vouloir réduire le périmètre de la télévision publique en privatisant Channel 4.

Dans un communiqué, la BBC indique qu’elle va chercher à réaliser 500M£ d’économies année pleine, dont 200M£ contribueront aux 285M£ d’économies annuelles qui lui faut à trouver d’ici 2027/28 avec le gel de la redevance, qui fait suite à déjà une période d’austérité. Les 300M£ restant seront réaffectés aux développements numériques, le groupe compte notamment consacrer une somme importante au développement du iPlayer et de ses contenus, et réduire les programmes d’information sur les chaînes linéaires pour investir dans les news digitales. L’objectif est également d’alléger la structure, en licenciant 1.000 personnes en ces quelques années.

Les chaînes d’info nationale et internationale BBC News ne feront plus qu’une, qui pourra garder des décrochages, tandis que plusieurs chaînes linéaires seront arrêtées : la chaîne CBBC pour les enfants de plus de 7 ans (l’autre chaîne enfants Cbeebies pour les plus petits est maintenue), ainsi que BBC Four, et Radio 4 Extra.

BBC Four est l’ancienne BBC Knowledge au départ spécialisée arts, science, musique et culture ainsi que fiction, c’était la chaîne notamment des séries étrangères avec sous-titres (c’est BBC Four qui a découvert en Angleterre Engrenages en 2006, dernièrement la chaîne a diffusé la mini-série française La Promesse). Elle démarre ses programmes à 19h à la suite de l’autre chaîne enfants CBeebies. Sa voilure venait déjà d’être réduite et ses commandes gelées, afin d’en faire une chaîne davantage d’archives. CBBC aurait pour sa part été choisie car ce serait la chaîne dont la jeune audience est devenue la plus volage avec la concurrence de Youtube. La date des fermetures des chaînes n’est pas précisée, elles seront effectuées d’ici 2027.

Livre blanc: une BBC sans redevance et une Channel 4 privatisée qui lâche les indépendants

L’audiovisuel britannique est en émoi depuis la publication du livre blanc du gouvernent et les déclarations annonciatrices qui avaient précédé. Le gouvernement y a donc décidé du gel de la redevance à 159£ « afin d’accompagner les foyers dans cette période difficile », et il remet officiellement en question le système de financement de la BBC, actuellement assuré par la redevance, souhaitant étudier comment le revoir d’ici le prochain contrat d’objectif et de moyens (l’actuel courant jusqu’en 2027). Avec l’évolution des usages, « de plus en plus de foyers ne veulent plus de licence TV, regardant de moins en moins la télévision linéaire », justifie le gouvernement. S’il réduit les recettes publiques de la BBC, il augmente son plafond d’emprunt de 350M£ à 750M£ afin de lui permettre « d’investir dans un plan de croissance ambitieux ».

Le sort de Channel 4 n’est pas meilleur, dont le gouvernement a décidé de la privatisation, en allant contre le résultat d’une vaste consultation publique, qui s’est prononcée contre la privatisation, ne voyant pas pourquoi les défis actuels empêcheraient Channel 4 de continuer durablement tout en étant détenue par des fonds publics. Crée en 1981, Channel 4 dispose d’un statut unique, étant une chaîne de service public, mais financée par la publicité, avec des obligations de diversité et mission d’innover en proposant des programmes souvent plus osés, et l’interdiction dès sa création de produire en interne afin de soutenir la production indépendante. Mais, le gouvernement britannique y voit là des contraintes handicapantes pour les temps modernes l’empêchant d’emprunter comme une société privée, et de tirer des revenus dérivés de ses contenus puisque ne lui appartenant pas. Alléger les contraintes de Channel 4 tout en lui laissant son statut public augmenterait la dette et les risques du gouvernement, alors que si elle est privée, l’investissement nécessaire pour sa mue digitale en contenus et technologie sera plus facile à réunir, estime-t-il. Il pense par ailleurs que si Channel 4 a joué un rôle important dans le développement de la production indépendante, celle-ci n’a plus besoin d’elle, le secteur de la production indépendante ayant progressé de 500M£ en 1995 à 2,9Md£ en 2020, alors que la proportion des commandes venant des chaînes publiques a baissé de 58% en 2010 à 41% in 2020, notamment grace aux commandes à l’international, illustre-t-il.

« L’économie de la création britannique est une success story à l’échelle mondiale, (…) notre production est en plein boom, et notre écologie mixte de la diffusion est admirée à l’international » justifie en introduction du livre blanc, Nadine Dorries, la secrétaire d’État britannique en charge du numérique, de la culture, des medias et du sport. « Cet écosystème prospère et diversifié a construit un cercle vertueux qui a fait du Royaume-uni un pays très attractif où investir (…). Nos diffuseurs publics sont clé dans ce succès (…) mais les changements rapides liés à la technologie, aux habitudes de visionnage et à l’arrivée de nouveaux acteurs globaux,  apportent leur lot de défis pour les diffuseurs britanniques ». L’objectif annoncé est de notamment permettre aux services publics et aux autres diffuseurs de mieux luter contre les plateformes internationale, qu’aléatoirement le groupement britannique veut chercher à réguler davantage.

Des décisions qui font écho

En Angleterre, le projet de basculer des chaînes en numérique sonne comme un air de déjà vu. C’est ce qui avait fait par le passé avec BBC Three destinée aux jeunes adultes, mais la BBC a dû depuis rebrousser chemin et réintroduire la chaîne linéaire, l’audience et la notoriété de la BBC auprès des jeunes ayant reculé par cette action. La récemment restaurée BBC Three, dont les audiences ont du mal re-décoler, est maintenue.

Ici les annonces font également écho. La France avait pris modèle sur BBC Three pour supprimer la chaîne enfant France 4 avant de se rendre compte avec la pandémie qu’une chaîne pouvant toucher tous les enfants (ce qui n’est pas encore le cas du numérique) avait encore quelque utilité. Mais France télévisions a déjà perdu un canal hertzien avec la fermeture de France Ô.

Par ailleurs, peu de temps après l’annonce de la décision du gouvernement britannique de sa volonté de supprimer la redevance, Emmanuel Macron, dont le précédent gouvernement avait déjà tâté le terrain, ajoutait ce projet à son programme pour la présidence. Une fois élu, le nouveau gouvernement a annoncé la suppression de la redevance dès le premier conseil des ministres le 11 mai, et dès cette année, afin de protéger le pouvoir d’achat des français. Elle doit maintenant être actée lors du projet de loi de finances rectificative après les legislatives. En contre partie, le service public accéderait à un budget pluriannuel (ce qui n’était pas le cas en France contrairement à l’Angleterre). La redevance était jusque là adossée à la taxe d’habitation qui a été supprimée par le gouvernement. Jusqu’à encore il y a quelque mois il était question plutôt que de la supprimer de l’élargir aux ordinateurs et smartphones, hypothèse qui n’a donc pas été retenue.

La suppression de la redevance pose une question évidente d’indépendance du service public dont le budget sera décidé et financé, plutôt que par la redevance du contribuable, directement par le gouvernement (même si c’est une fois tous les cinq ans) se retrouvant ainsi en position de demander davantage de comptes. Le can Macron a argué que c’était déjà le cas, le budget du service public ne provenant pas entièrement de la redevance, et qu’il serait plus indépendant comme ça.

Les menaces s’intensifient sur le service public et son indépendance ci et là ces dernières années. La Suisse, menacée de fin de redevance bien avant l’Angleterre et la France, avait organisé un référendum sur le sujet qui avait débouché à la surprise générale sur une vaste mobilisation des téléspectateurs pour la redevance. Mais c’était en 2018. Depuis l’audiovisuel a changé et l’idée semble avoir fait son chemin. Le DG de la BBC, Tim Davie ne s’oppose pas frontalement, voulant garder l’esprit ouvert, mais il dispose de plus de temps. Delphine Ernotte est pour l’instant discrete. En revanche les syndicats de France Télévisions ont appelé à la grève le 26 juin tandis que le président d’Arte, Bruno Patino s’est exprimé à l’AFP, très inquiet au niveau du financement d’Arte.

  • Article dans Deadline sur la réponse de la patronne de Channel 4, Alex Nahon au livre blanc, « décevant et une honte », estime-t-elle, « nous devons faire attention de ne pas créer de conséquences négatives pour l’industrie britannique » . Sa proposition alternative à la privatisation publiée début mai 4: The Next Episode – Channel 4’s future vision

Article Suppression de la redevance télé dès 2022 sur le site du gouvernement française, service-public.fr, la dépêche de l’AFP sur les inquiétudes de Bruno Patino, sur le site de France 24.

Update, janvier 2023 : Channel 4 ne sera pas privatisée, a décidé le nouveau gouvernement britannique. Lire l’article dans The Guardian

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