Le comportement de l’audience au Royaume-Uni passé au crible

L’autorité de régulation britannique, Ofcom, vient de publier la sixième édition de son rapport annuel, Media Nations UK 2023 , étude de 72 pages regroupant des datas provenant de plusieurs sources, et retraçant les évolutions du secteur audiovisuel au Royaume-Uni.

Cette année, il comporte des données plus détaillées sur les comportements de l’audience, qui changent. Cela fait en effet plus de dix ans maintenant que ce sont lancées les premières plateformes SVoD Netflix and co en Angleterre, précipitant avec elles les nouvelles habitudes de consommation de la vidéo à la demande (Netflix s’est lancé en Grande-Bretagne en janvier 2012 et en France deux ans et demi plus tard).

En 2022, le secteur de l’audiovisuel fait toujours face à des changements rapides, indique l’Ofcom dans son rapport. La durée d’écoute TV a subit un nouveau décrochage, qui, certes, fait suite à des années 2020 et 2021 de plus forte consommation, les gens ayant passé davantage de temps chez eux avec les restrictions de déplacements liés au Covid.

Quand aux plateformes SVoD rivales, si leur nombre et chiffre d’affaires ont continué d’augmenter (notamment avec la hausse des prix de certaines), elles semblent atteindre un plateau en termes de pénétration. Après avoir été en croissance incessante pendant dix ans, un pic de 68% des foyers britanniques déclarant les regarder au premier trimestre 2022, elles sont retombées à 66% au au premier trimestre cette année, vraisemblablement affectées par la crise économique au Royaume-Uni alors que le marché arrive à maturité. Elles diversifient leurs business modèles, la nouvelle offre avec publicité de Netflix aurait séduit 13% des abonnés, selon un autre sondage datant de février.

Les internautes, les jeunes surtout, consomment par ailleurs beaucoup de contenus vidéos sur les sites de partage de vidéo comme Youtube. Le résultat de cette concurrence effrénée est une audience qui s’est beaucoup fragmentée, reflète l’étude de l’Ofcom, et des habitudes qui changent, selon les ages et les profils de téléspectateurs.

Durée d’écoute quotidienne des chaînes TV effectuée sur le poste de télévision par tranche d’âge

Durée d’écoute vidéo, les chaînes résistent grâce au développement de leurs propres plateformes

Tous supports confondus, les britanniques ont regardé de la vidéo l’an dernier une moyenne de 4h28minutes par jour, des données qui ne peuvent être pleinement comparées aux années précédentes, la méthodologie ayant changé (sauf pour la télévision linéaire) indique l’Ofcom qui estime une baisse d’environ -12% (ou -39 minutes) par rapport à 2021, année encore à forte consommation avec l’effet Covid.

Durée quotidienne de consommation vidéo par individu, tous supports
source Ofcom, avec Barb et IPA TouchPoints

S’il n’est plus le seul, le poste de télévision est toujours le premier lieu pour visionner de la vidéo, à 82%. D’ailleurs le nombre de foyers possédant un poste de télévision est demeuré stable au Royaume-Uni ces cinq dernières années autour de 95%.

Malgré une baisse du live tv, ou de la consommation linéaire (l’action de regarder la télévision en direct ), cela pèse encore pour 44% de la durée d’écoute vidéo quotidienne en 2022. Les chaînes TV parviennent à maintenir une part de l’écoute stable à 60% grâce à leurs services BVoD (Broadcaster Video on Demand, c’est à dire leur plateforme de services à la demande, notamment le replay) qui ont continué à progresser, indique L’Ofcom.

Ce sont les seuls à croitre avec les sites de partage de vidéos comme Youtube, tout porte en effet à croire que la durée d’écoute des plateformes SVoD/AVoD s’est elle aussi contractée l’an dernier par rapport à l’année précédente, parce que les gens passent moins de temps chez eux depuis la fin des restrictions liées au Covid, mais aussi parce que la SVoD semble avoir atteint un plateau, répète l’Ofcom.

Différents comportements selon les âges

Selon les cibles la répartition de la consommation est totalement différente, les jeunes étant ceux regardant le moins les chaînes de télévision en direct, mais les regardant tout de même encore. Les 16-34 consacrent maintenant une moyenne de 36 minutes par jour au linéaire au Royaume-Uni, ils enregistrent les programmes des chaînes pour l’équivalent de 11′ par jour, et les rattrapent à la demande 16′, soit un total de 63 minutes pour les chaînes traditionnelles. C’est plus que le temps passé sur une plateforme de SVoD (54 minutes), mais moins que celui consacré aux sites de partage de vidéo (72 minutes). Pareillement, les enfants regardent à 38% les sites de partage de vidéo, à 23% les chaines TV, et à 19% les offres SVoD/AVoD.

Nombre de minutes quotidiennes par cible, source Ofcom, Barb, IPA TouchPoints

A noter que le phénomène de regarder davantage de contenus à la demande, s’il est tiré par les jeunes, ne leur est plus réservé. Alors que la durée d’écoute TV auprès des plus de 65 ans était restée plus ou moins stable ces dix dernières années (voir avait fortement augmenté pendant la pandémie), pour la première fois elle a baissé auprès de 64-74 et des plus de 75 ans en 2022 de 6 et 7% par rapport à l’avant Covid en 2019. Selon un autre indicateur, le nombre de personnes de plus de 64 ans déclarant utiliser Disney+ est passé de 7 à 12% début 2023 par rapport à l’année précédente, tandis que 43% disent regarder Netflix et 37% Prime Video, des chiffres stables (avoir Disney+ pour les petits enfants ? NDLR). La cible demeure cependant très fidèle à la télévision traditionnelle, 96% la regardent toutes les semaines, contre 97% cinq ans plus tôt.

Baisse de la pénétration TV hebdomadaire

Car une des conséquences des changements est une certaine baisse du nombre de personnes ayant l’habitude de regarder la télévision traditionnelle chaque semaine, 79% des individus en 2022, contre plus de 90% il y a 5 ans. La chute est plus marquée auprès des jeunes : 54% des 16-34 ans et 60% des 4-15 ans l’ont regardée au moins une fois par semaine en 2022, contre respectivement 82% et 87% en 2017. Cela joue aussi au niveau des chaînes elles-même. La BBC One a une pénétration hebdomadaire de 58% contre 70% en 2017, et ITV1 de 44% contre 60% il y a cinq ans.

Selon d’autres indicateurs, la BBC One demeure toujours la chaîne ou service que le plus grand nombre de personnes de 4 ans et + allument en premier sur leur téléviseur (20% d’entre eux), suivie de ITV1 (13%), mais c’est Netflix qui arrive en troisième (6%) devant la BBC2 (4%) qui se trouve à égalité avec les sites de partage de vidéo comme Youtube.

Fragmentation galopante, les chaînes TV continuent de fédérer

Dans ces colones, nous avions déjà donné les premiers résultats de la mesure d’audience Barb, selon lesquels Netflix s’est imposé comme troisième diffuseur l’an dernier en termes de part d’audience, mais qui montrent aussi que ce sont toujours les chaînes traditionnelles qui fédèrent. Ce que le rapport de l’Ofcom confirme, ajoutant que c’est particulièrement vrai quand il s’agit de couvrir certains évènements nationaux, sportifs, ou royaux. Le match Angleterre-France de la coupe du monde de la FIFA fut le programme le plus regardé l’an dernier, par 16 millions de téléspectateurs sur ITV1, suivi des funérailles d’Elisabeth II en septembre et avant ça son Queen Platinium Jubilee en juin, tous deux ayant réuni plus de 13 millions de téléspectateurs sur la BBC One (ces événements furent aussi retransmis sur d’autres chaînes, leur audience est donc plus importante). Certains divertissements et fictions se distinguent également. La quatrième meilleure audience fut la télé-réalité I’m a Celebrity.. Get Me Out of Here! dont le meilleur épisode a atteint 12,5 millions, et la cinquième fut le premier épisode de la série fiction The Tourist à 11,4 millions.

Malgré ces fortes audiences, le nombre de contenus touchant une audience de masse est en déclin. L’an dernier, 1 184 retransmissions TV ont attiré plus de 4 millions de téléspectateurs, c’est moitié moins qu’en 2014 (2 490). Cette baisse est commune à la plupart des genres, et particulièrement sensible au Royaume-Uni en ce qui concerne les émissions d’informations (seules 148 d’entre elles ont touché plus de 4 millions de spectateurs contre 537 il y a 10 ans) et les soaps (438 épisodes contre 754).

La tendance est encore plus marquée pour les retransmissions TV regardées par plus de 6 millions de téléspectateurs. Elles sont au nombre de 213 en 2022, cinq fois moins qu’il y a 10 ans (1 172).

À l’inverse, 48 programmes ont attiré plus de 4 millions de téléspectateurs sur les plateformes SVoD/AVoD en 2022 (audience consolidée sur 28 jours), Netflix comptant pour la majorité. Un nombre qui demeure relativement petit, note l’Ofcom, et qui illustre à quel point le paysage est devenu fragmenté.

Linéaire et BVoD, à rattrapage variable

La proportion de l’audience des programmes des chaînes TV réalisée à la demande, en BVoD, par rapport au linéaire est en moyenne de 10% (toujours en audience consolidée sur 28 jours) mais dépend grandement des chaînes et des programmes ainsi que des tactiques de programmation. La BBC, en pointe avec son BBC iPlayer, a ainsi obtenu 14% de son audience à la demande en 2022, et la télévision payante Sky, 16%. A l’inverse, 96% de l’audience de Channel 5 est linéaire et 93% de celle d’ITV. La chaîne privée a relancé son player, ITVX, fin 2022 et depuis la proportion augmente : 10% de son audience au premier semestre selon l’institut d’audience Barb contre 7% en 2022.

Proportion audience linéaire / BVoD, source Ofcom, Barb, audience 28 jours consolidée

Quand aux types de programmes, quand on regarde le top 5 de l’année, alors que les funérailles de la Reine Elisabeth ont été regardées à 95% en direct, une série fiction comme The Tourist a récolté 57 % de son audience moyenne (de 10 millions) sur le BBC iPlayer, un chiffre énorme. La série avait été rendue disponible dans son intégralité après que soit diffusé avec succès le premier épisode (8,9 millions de téléspectateurs en audience linéaire).

Côté télé-réalité, sur ITV1, le divertissement à succès I’m a Celebrity… Get Me Out of Here!, eu 12% de son audience à la demande, ce qui est peu proportionnellement mais reste beaucoup en nombre de téléspectateurs. A l’inverse, signale l’Ofcom, sur ITV2, dont la cible est beaucoup plus jeune, le dating à succès Love Island saison 8 avait généré 39 % de son audience en BVoD à la demande (certes moins nombreuse que I’m a Celebrity).

Différents profils de téléspectateurs

L’Ofcom a commandé une étude à TRP Research basée sur les audiences de Barb qui répertorie les profils de téléspectateurs en différentes catégories et décrit leur comportement. Selon cette dernière, les linear heavy ou gros consommateurs de télévision linéaire, regardent la télévision plus de cinq heures par jour, à 89% en direct, réparties en trois fois (matin, après midi et en prime-time) en de longues sessions de 159 minutes. Ils ont plus de 55 ans pour 77% d’entre eux, et vivent seuls à 30%.

Les linear heavy constituent la catégorie la plus importante, représentant 30% des téléspectateurs et 52% de la durée d’écoute.

Seconde catégorie, les linear medium concernent 28% des téléspectateurs. Ces derniers regardent entre 1,5 et 5 heures par jour, réparties en trois fois également, des sessions un peu moins longues de 110 minutes, en un mixe de télévision linéaire (à 62%), de BVoD (8%) et de SVoD (14%). Ils sont plus jeunes, 37% d’entre eux seulement ont plus de 55 ans. Ce sont pour la moitié des couples sans enfants.

Les linear light, qui représentent 22% des téléspectateurs, regardent 1,5h par jour la télévision, principalement en primetime, ainsi qu’un mixe de BVoD et de SVod, et leurs sessions sont plus courtes (83 minutes). Ils sont aussi plus jeunes, ils ont 16-34 ans pour 38% d’entre eux et 35-55 ans pour 31% d’entre eux. Par session, ils regardent en moyenne 34 minutes la télévision linéaire, 11 minutes un service de BVoD, et 34 minutes les plateformes SVoD/AVoD. Ils sont “flottants”, décrit l’étude, pouvant facilement basculer dans une autre catégorie.

Plus petite catégorie, 16% des téléspectateurs sont des linear rejectors qui regardent principalement la SVoD (à 32%) avec tout de même un peu de linéaire (6%) et de BVoD (3%). Ce sont à 40% des enfants de 4-15 ans et à 34% des jeunes adultes de 16-34 ans. Ils ont tendance à commencer leur session par une plateforme de partage de vidéos comme Youtube, ou par Disney+ ou Netflix. C’est la catégorie dont la durée de la session est, après les linear heavy, la plus longue (113′), et ils zappent aussi moins, sans doute à cause de l’enchainement des épisodes des séries sur les plateformes SVoD. Par session il consacrent 39 minutes en moyenne à la SVoD, 17 minutes aux sites de partage de vidéo comme YouTube regardés sur le téléviseur, et 4 minutes à la BVoD.

Enfin, les TV rejectors qui représentent 4% des téléspectateurs, regardent la télévision une fois de temps en temps seulement mais à 89% la télévision linéaire, ils ont à 42% 16-34 ans et 25% sont des enfants.

Seuls 20% des internautes y regardent des films ou contenus longs

Temps passé (toutes activités comprises) sur les plateformes de médias sociaux proposant de la vidéo

Chez les internautes, l’âge des plateformes de réseaux sociaux et partage de vidéo se marque également. Selon une étude d’Ipsos portant sur le mois de mars 2023, Facebook et Messenger étaient ce mois-là de loin le lieu où les internautes ont passé le plus de temps, toutes activités comprises (pas seulement à regarder des vidéos), soit 37 minutes par jour pour les + de 15 ans, une durée stable. Par cible, Facebook n’était en revanche pas du tout leader auprès des 15-24 ans qui lui préfèrent, dans l’ordre, TikTok, Snapchat, et Youtube.

Pour ce qui est plus spécifiquement de la consommation de vidéos, selon une autre source, l’étude VoD d’Ofcom, 81% des adolescents britanniques déclarent regarder des contenus avant tout sur Youtube, à 53% des vidéos faisant moins de 15′.

Ce sont surtout des contenus relativement courts qui sont regardés sur Internet (mais qui peuvent faire plus de 15′). Seuls 20% des 13 ans et + y regardent des films ou des contenus longs. Parmi les contenus courts, les adultes regardent avant tout les “How to” comme les recettes de cuisine, et les infos, ainsi que des contenus généré par le public ou la famille et de la musique, tandis que les 3-12 ans regardent en premier lieu des clips humoristiques, les YouTubers et de la musique.

Enfants : Netflix, Youtube, Amazon, Disney+ et le BBC iPlayer

Selon l’étude Insight Family, chez les enfants, l’audience des plateformes SVoD a continué de se développer auprès des 3-12 ans au Royaume-Uni au premier trimestre 2023.

Netflix renforce son leadership, touchant 66 % des enfants. Youtube (dont Youtube Kids) suit en forte baisse regardé par 45 % (-14 points en un an) mais progresse en termes de degré d’utilisation, 51% des enfants déclarant regarder YouTube davantage que tout autre plateforme, +2 points. A égalité en termes de pénétration, Amazon+ est stable, tandis que son service disponible indépendamment Amazon Kids+ connait la plus forte progression (de 0,2% à 8%). Disney+ poursuit sa courbe ascendante atteignant 40% (+ 3 points). Le BBC iPlayer et l’iPlayer Kids régressent à 30% mais demeurent dans le top trois en fréquence d’utilisation.

FAST pas très vite, pour l’instant

Enfin, si plusieurs services de chaînes FAST (Free advertising supported streaming TV) se sont lancés au Royaume-Uni comme Freevee d’Amazon, Pluto TV du groupe Paramount et Samsung TV Plus, qui incluent en général des chaînes en streaming linéaire gratuites avec publicité et des catalogues de programmes disponibles à la demande, leur pénétration n’y est pas encore significative. Selon un sondage datant de février 2023, seuls 8% des adultes et adolescent déclaraient avoir utilisé Freevee dans les trois mois précédents, et moins de 4% les autres. Ils n’en constituent pas moins une nouvelle concurrence à venir, d’autant que les chaînes de télévision elles-même en lancent dans le cadre de leur services BVoD comme ITVX qui a annoncé 18 chaînes thématiques disponibles exclusivement en streaming, souligne l’Ofcom.

  • Accéder à l’étude de l’Ofcom, Media Nations UK 2023 qui donne de nombreux autres chiffres, notamment les chiffres d’affaires du secteur, les investissements programmes

En complément, sur MABtv voir les articles précédents sur le Royaume-Uni :

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