Fiction française, les diffuseurs veulent plus d’audace

Série Series fut l’un des premiers événements à se tenir à nouveau en partie physiquement, du 30 juin au 3 juillet dernier, quelques semaines après le Festival d’Annecy, quelques jours avant le Festival de Cannes. Les organisateurs avaient mis au point une formule hybride y compris dans ses sessions live et études de cas qui faisaient interagir les intervenants présents sur place avec les intervenants européens en visioconférence. « Nous sommes quelque part devenus des producteurs de contenus » lançait en plaisantant l’organisatrice Marie Baracco entre deux portes. 

Le temps était assez beau pour socialiser à l’extérieur, dans l’atmosphère chaleureuse et hors du temps des vieilles pierres de Fontainebleau, ajoutant au petit côté surréaliste de la situation. Un peu étourdis et groggy, les participants étaient venus par centaines, avec l’étrange sentiment que tout était comme d’habitude et que rien n’avait changé, mais en même temps que tout était différent, et se demandant si les choses revenaient à la normale et pour de bon.

Car, bien que n’étant pas au centre des discussions, l’ombre de la pandémie flottait partout, de nombreux responsables témoignant, un peu émus, que c’était leur première sortie, d’autres reconnaissant avoir expérimenté des retards dans les livraisons, tandis que lors de sa session, l’institut d’études Ampere Analysis rappelait que nous sommes toujours au milieu d’une pandémie mondiale ce qui continue d’avoir un impact sur le volume et le type de programmes commandés.

Une ombre au tableau alors que, virus mis à part, tous les signaux semblaient être au vert pour la production de fiction mondiale y compris française, le genre ayant vu le nombre de de ses commanditaires et débouchés augmenter, et avec eux, la diversité créative et les cibles des séries recherchées.

Demande renforcée pour des séries pointues, séries espagnoles à l’honneur

Les plateformes de streaming à l’appétit bien aiguisé continuent de se développer, et avec elle le désir de séries plus pointues, et/ou plus ambitieuses, se traduisant généralement dans un premier temps dans les achats et coproductions, avant la production originale. 

Série Series accueillait ainsi la toute jeune plateforme Svod, BrutX, lancée trois mois auparavant, et qui a recruté en tant que responsable des acquisitions et des coproductions internationales une spécialiste du genre, l’ancienne directrice des acquisitions de M6 et Canal+, Nathalie Drouaire. Celle-ci qui s’exprimait sur sa première acquisition, la série espagnole Veneno, série « transgressive » mais aussi fortement « émotionnelle » qui est tout à fait représentative du genre de choses que recherche BrutX, « changeant votre perception de l’identité trans », expliquait-elle. BrutX souhaite s’impliquer dans de tels projets en amont, comme coproducteur. 

Le développement des coopérations européennes était d’ailleurs tangible lors de cette édition de Série Series. Dans la même la session, organisée en duplex avec la manifestation espagnole Conecta Fiction, Arte France racontait ainsi sa collaboration sur la seconde saison de Hierro, coproduction d’origine espagnole (pour Moviestar+), dans laquelle la chaîne s’est impliquée sans demander de modification éditoriale, et ce afin de conserver l’authenticité du sujet et « d’apprendre », commentait Alexandre Piel, directeur adjoint de l’unité fiction d’Arte. 

Arrivée à l’antenne des premières coproductions européennes ambitieuses de France Télévisions

Les coproductions européennes ont également été la manière, pour France Télévisions, de répondre au faste des originals des plateformes, en créant il y a deux ans avec la Rai et la ZDF, l’Alliance, un « club » de diffuseurs publics européens dont l’objectif est de co-produire des séries capables de créer l’évènement, et dont les premières arrivent maintenant à l’antenne. Lors de Série Series, était ainsi projeté en avant-première Leonardo, tout premier projet de l’Alliance, d’initiative italienne, et qui avait réuni quelques jours auparavant non moins de 7 millions de téléspectateurs sur la Rai (6 millions en seconde semaine). L’Alliance va par ailleurs être livrée prochainement de Germinal, adaptée du classique cette fois français d’Emile Zola, puis de la série Le Tour du monde en 80 jours, d’après Jules Verne, tourné en langue anglaise et réunissant également PBS et la BBC.  

L’Alliance travaille actuellement sur sept-huit développements, a déclaré la directrice des fictions internationales de France Télévisions Nathalie Biancolli, tandis que France Télévisions est aussi devenue plus active dans les coproductions internationales en général, notamment avec des partenaires francophones.

Salto, un public jeune et vorace

Germinal est par ailleurs un premier partenariat avec la plateforme SVOD de TF1, M6 et France Télévisions, Salto, qui a participé au financement. En terme de production originale, Salto n’en n’est pas encore à commander ses propres fictions originales françaises, mais souhaite participer en revanche au financement de certaines séries initiées par ses maisons mère afin de les accompagner dans leurs envies de produire des projets plus ambitieux.  « Nous allons en tirer les leçons de ce premier partenariat, le jour viendra où nous nous produirons seuls » commentait Thomas Crosson, directeur des contenus.

Lancée il y a huit mois, Salto, a partagé les premiers enseignements tirés des usages de ses abonnés. Ils sont plutôt jeunes, la majorité ayant moins de 35 ans, beaucoup sont accros aux feuilletons quotidiens des chaînes mères qui sont proposés deux jours avant leur diffusion linéaire, et ils en suivent en général plusieurs. « Ils regardent aussi des séries qu’ils ne regarderaient pas sur le linéaire, comme Capitaine Marleau » indiquait Thomas Crosson, décrivant son audience comme « très vorace », certains consommant 4 à 5 épisodes par jour, et les séries internationales étant souvent bingées en un coup dès leur lancement. « Nous avons besoin de nouvelles séries chaque semaine, nous devons en permanence nourrir le molosse !»a-t-il plaisanté.

Salto, qui se considère comme une sorte de Hulu français, diffuse certaines des séries achetées ou commandées par les maisons mères, expérimentant toutes sortes de formules en termes de lancement et de timing. Elle acquiert également ses propres séries spécifiques, plutôt pointues, telles la série russe Sherlock The Russian Chronicle, la série de TVNow pour jeunes adultes Even Closer et le thriller de la BBC The North Water.

Hausse attendue des commandes de fiction française

Si les nouvelles plateformes françaises n’en sont pas encore à commander des fictions françaises, les plateformes américaines si, et, à en croire les quelques signaux ayant précédé Série Series, le mouvement s’intensifie. L’un était l’annonce du début de tournage d’une première série française commandée par Apple+, Liaison, une coproduction Leonis avec la société anglaise Ringside Studios (groupe Newen), créée par la scénariste française Virginie Brac, avec un casting top niveau composé de Vincent Cassel et Eva Green. L’autre bonne nouvelle était la sortie du décret français réglementant les plateformes de Svod en France et exigeant qu’elles investissent au moins 20 % de leur chiffre d’affaires en France dans la production européenne et française.

Six responsables créatifs pour la fiction chez Netflix, rien que pour la France

L’information étant récente, l’assistance de Série Series, composée pour beaucoup de créatifs, n’y avait pas encore porté plus d’attention que ça. D’autant plus que la commande de fictions françaises par les plateformes Svod est déjà devenue pour eux une réalité, les plateformes n’ayant pas attendu la réglementation pour investir, comme l’illustrait la présentation de Netflix France. 

L’équipe de Netflix en France s’est en effet bien étoffée, comprenant maintenant six responsables créatifs de séries « rien que pour la France », dont eux, ont indiqué Jimmy Desmarais et Clémentine Gayet lors de leur présentation du line-up fiction de Netflix France. « Nous voulons faire plus de séries, et c’est pourquoi l’équipe s’est agrandie » a commenté Clémentine Gayet.

A propos du décret, Jimmy Demarrais répondit rapidement que le sujet était, à leur niveau, un peu technique, mais qu’il était administré de près par qui de droit chez Netflix, et  que bien sur, la plateforme comptait se plier à la réglementation.

Jimmy Desmarais et Clémentine Gayet, deux des six responsables créatifs en charge des commandes de fiction française chez Netflix

Netflix France a connu son heure de gloire cette année avec Lupin, série plutôt grand public, qui a non seulement été un succès international mais a également réussi à changer quelque peu la perception de la fiction française auprès du jeune public français généralement davantage tourné vers les séries américaines et un peu méfiant de ce qui vient de France, a commenté Jimmy Desmarais. 

Tous deux ont cependant insisté sur leurs besoins de diversité et de plaire à des cibles différentes. Représentatif d’un autre type de tentative, Netflix avait organisé une avant-première dans la foret de la seconde saison de Mortel, série fantastique française avec pour toile de fond les tours d’une banlieue défavorisée.

Satisfaire chaque abonné individuellement 

« Nous n’avons pas un seul profil d’audience, notre base de téléspectateurs est multiple, et nous visons à plaire à chaque abonné individuellement » a expliqué Desmarais. «Quand nous faisons une série d’horreur, nous n’attendons pas les mêmes résultats que Lupin, et nous ne mettons pas mettre la même somme d’argent. Chaque programme a sa cible. » 

Netflix France recherche actuellement en particulier des séries d’action et des thrillers français, deux genres que la plateforme avait moins eu l’occasion de développer jusqu’à présent et qui s’illustrent par les séries à venir Braqueurs, dérivé du film éponyme, et Disparu à jamais adapté du roman d’Harlan Coben. Netflix France souhaite également continuer à creuser son sillon dans la comédie et le « rom-com » (comédie romantique), telles Family Business et Plan coeur, toutes deux en troisième saison. Dans encore d’autres registres, la plateforme a lancé des  projets tels que Standup créée par Fanny Herero (Dix pour cent) et Wonderman sur l’histoire de Bernard Tapie. 

Les défis de la rapidité et repousser les limites créatives

Jimmy Desmarais a par ailleurs encouragé les scénaristes à pousser davantage les limites et libérer l’imaginaire. « Nous vous le dirons si vous allez trop loin, mais ça n’a jamais encore été le cas » .

L’un des défis pour produire pour Netflix est la rapidité, le modèle straight to series impliquant dès la commande une date de lancement et un rétro-plan « ce qui peut être stressant car il y a une deadline à respecter» a reconnu Jimmy Desmarais. Aussi, la plateforme a mis au point un second modèle, de développement, indiquait-il. « Mais nous voulons vraiment garder l’envie d’aller vite, les développements nous essayons de les tenir en quelques mois » ajoutait Clémentine Gayet.

TF1, explorer toujours plus de nouveaux territoires

L’offensive des plateformes américaines a également eu pour effet de pousser les diffuseurs traditionnels à se renouveler et à repenser leur offre fiction, quitte à prendre plus de risques. « N’ayez pas d’idées préconçues, surprenez-nous » lançait ainsi la directrice artistique de la fiction française de TF1, Anne Viau, racontant l’exemple d’un producteur lui ayant parlé d’un projet qu’il ne pensait pas pour TF1 mais plutôt pour Netflix et actuellement en production pour la première chaîne. « L’offre de contenus est à un niveau jamais atteint auparavant, il est plus que jamais crucial pour TF1 de créer l’événement et de se différencier »

La chaine leader française, qui commande 70 à 80 soirées fictions françaises par an, a progressivement effectué tout un travail de renouvellement de sa fiction française ces dernières années, y compris de ses séries récurrentes, avec quelques succès notables au rendez-vous, comme tout d’abord Balthazar, en quatrième saison, et plus récemment HPI (Haut Potentiel Intellectuel) avec Audrey Fleurot qui a défié la loi de la fragmentation de l’audience, obtenant une moyenne de 10 millions de téléspectateurs linéaires, plus deux autres millions en rattrapage, des niveaux que la chaîne n’avait pas atteints depuis 15 ans. HPI était par ailleurs une tentative nouvelle dans la comédie policière, la chaîne s’essayant à de nouveaux territoires.

Anne Viau, directrice artistique de la fiction française de TF1

Mini-séries appropriées aux nouvelles habitudes de consommation et aux castings cinq étoiles

Pour se démarquer, la chaîne souhaite par ailleurs développer des mini-séries davantage « premium », avec des « narrations parfois complexes, des personnages loin d’être lices », et qui soient artistiquement comme « du cinéma à la maison », avec un « très grand travail à la réalisation, aux lumières, à la musique », a-t-elle décrit, la chaîne s’intéressant à un large éventail allant du polar au fantastique en passant par la comédie romantique.  « Les mini-séries sont actuellement le genre roi, car elle correspondent aux habitudes de consommation d’aujourd’hui, les téléspectateurs ne s’engageant que sur trois quatre soirées » a-t-elle expliqué. Elles permettent également d’accéder à des stars de cinéma, et dans la nouvelle stratégie « nous avons besoin de castings de cinq étoiles », a-t-elle souligné.

On retrouvera à la rentrée plusieurs mini-séries avec la comédienne porte bonheur de TF1 Audrey Fleurot qui s’était déjà distinguée l’an dernier pour son rôle dans Le Bazar de La Charité, incursion réussie de TF1 dans la mini-série en costumes (et dans laquelle Netflix s’était associé). Elle fait ainsi partie du casting d’une autre mini-série historique, Les Combattantes, qui se déroule pendant la première guerre mondiale , et fait intervenir la meme équipe de productrices et comédiennes que le Bazar de la charité. «Nous aimons l’idée de continuer à voyager dans le temps avec elles et qu’elles nous racontent l’apport des femmes dans l’histoire » a décrit Anne Viau. La comédienne tient également le premier rôle de Mensonge, adapté de la série anglo-saxonne, Liar.

Parmi les autres séries attendues, Visions, avec Louane, est une nouvelle incursion dans le paranormal. A venir également la mini-série sur l’histoire du Petit Gregory, Une Affaire française, ou encore Une si longue nuit, adapté de Criminal Justice (qui a également donné lieu à The Night of sur HBO) avec Mathilde Seignier et Jean-Pierre Daroussin, et Rebecca, « thriller assez noir » sur une femme flic en arrêt maladie mariée à Benjamin Biolay qui se retrouve face à un tueur en série, adapté de la série anglaise Marcella.

Adaptations : « difficile de résister »

Au sujet des adaptations, qui semblent nombreuses, Anne Viau a tenu à préciser qu’il y avait effet de loupe, et que TF1 continuait de donner une part belle aux scripts originaux. « C’est aussi que les producteurs nous proposent beaucoup d’adaptations, et il est souvent difficile de resister !» ajoutait-elle. 

Dans leurs nouvelles tentatives, néanmoins, on peut observer que les adaptations se sont généralisées chez tous les diffuseurs, souvent utilisées pour explorer des genres moins habituels ou plus risqués.

Canal+ s’est ainsi félicité du « raz de marée d’audience » qu’a rencontré La Flamme, adapté du format américain Burning Love «une parodie de Bachelor, qui a réussi à toucher un public beaucoup plus jeune », a déclaré le directeur de la  fiction française Fabrice de la Patellière. Canal+ dispose d’un budget pour 10 séries par an (même si avec la pandémie seule 7/8 furent diffusées cette année), et essaie d’avoir quatre à cinq nouveautés par an à côté des secondes saisons.  

Fabrice de la Patellière, directeur de la fiction de Canal+, et Marie Baracco, organisatrice de Série Serie

Canal+, rajeunir et féminiser l’audience

Comme la plupart des chaînes, la chaîne payante, dont le cœur de cible est les 25-49 ans, a le souci de s’adresser plus efficacement aux jeunes, cible privilégiée des nouvelles plateformes. « Comme tout le monde nous souffrons du vieillissement du public de la fiction » a expliqué Fabrice de la Patellière. « Quand on réfléchit à notre public, on parle de foyers d’abonnés avec différents profils, les adultes sont notre coeur de cible mais les jeunes adultes de 15-25 sont aussi une cible, tout comme les femmes, nous voudrions que chacun s’y retrouve». 

Déjà l’an dernier la chaîne payante avait enregistré un succès important auprès des jeunes avec la série Validé, créée par Franck Gastambide sur le monde du rap, qui a enregistré 35 millions de commandes, et « nous a permis d’atteindre un public qu’on ne touchait pas », a commenté Fabrice de la Patellière. « Cette série a parlé au delà de nos espérances, quasi tout le monde en France l’a vu, les jeunes gens ont pris abonnement ponctuel pour la voir. C’est la preuve pour nous que le fait d’être assimilé comme chaîne traditionnelle par les jeunes n’est pas un barrage si on propose quelque chose qui leur parle ». La série avait bénéficié d’une stratégie de lancement « un peu maline » , le premier épisode ayant été mis sur youtube. «Lancer les séries c’est de plus en plus important » a-t-il souligné.

Les performances à la demande de Validé sont par ailleurs représentatifs d’un changement radical en quelques années dans le mode de consommation de la chaîne payante : « le non linéaire représente désormais 80 % de l’audience d’une série » a-t-il précisé. « L’offre globale de Canal+ est de plus en plus assimilée à une plateforme, à nous de la rendre la plus attrayante possible ». Dans cette optique, la chaîne cherche à « surprendre en étant jamais tout à fait où on nous attend », et recherche « de projets très forts qui font du buzz », ayant «besoin de puissance pour générer des abonnements ». « La haute couture chic ne suffit plus », a-t-il commenté. 

Là aussi les coproductions internationales jouent leur rôle, la chaîne s’impliquant dans deux trois projets de ce type par an, comme La guerre des mondes de StudioCanal, en troisième saison « une adaptation assez sombre, qui déroute mais on l’assume ». Mais comme aussi Django, série franco-italienne actuellement en tournage promouvant une sensibilité européenne dans la lignée des westerns spaghetti et qui défriche de nouveaux territoires. Django est une coproduction entre Atlantique et la société italienne Cattleya (Gomorra) avec Sky «  que nous connaissons bien et avec qui nous sommes assez proche éditorialement ». Autre exemple dans un registre totalement différent, la série franco-américaine de 15×30’ en diffusion à l’automne , On The Verge créée par la comédienne française basée à LA Julie Delpy, se déroulant en partie à Los Angeles et qui compte étonnamment comme autre partenaire, Netflix. La plateforme est intervenu dans un second temps via l’équipe d’acquisitions basée à LA, a raconté Fabrice de la Patellière. « Nous savions que l’histoire nécessitait une coproduction américaine. Ce fut une collaboration assez agréable. La série sera  diffusée en même temps sur Canal+ et Netflix, avec une fenêtre d’exclusivité « assez longue » pour Canal+ en France.

Après avoir cherché avec succès à moderniser la série médicale avec Hippocrate qui continue, Canal+ a eu envie de renouveler le polar le mélangeant avec la série en costume historique avec Police Paris 1900. La série a bénéficié de moyens importants « même si encore loin du cinéma », Canal+ investissant plus qu’à l’habitude de même que StudioCanal qui a mis un minimum garanti important. 

Filiales de chaînes hyper actives

Fabrice de la Patellière a souligné que StudioCanal s’impliquait de plus en plus souvent dans les séries commandées par Canal+ pour en avoir la distribution, « Eux comme nous, nous sommes encouragés à travailler ensemble » a-t-il commenté. « Ils sont de plus en plus systématiques, de plus en plus présents. C’est différent pour les coproductions internationales, car nous ne sommes pas les seuls ». 

Tout autant représentatif du désir des chaînes de contrôler davantage les droits audiovisuels des séries qu’elles commandent, quelques jours avant l’événement, M6, qui est un relativement nouveau venu dans la fiction de primetime, confirmait une nouvelle organisation selon laquelle les fictions de M6 sont maintenant commandées via sa filiale de droits audiovisuels et de films SND, qui développera et lancera aussi elle-même certaines séries françaises.

A côté de l’effervescence artistique, on pouvait donc aussi sentir une certaine tension monter sur le thème des droits et des IPs. Le modèle des plateformes mondiales américaines qui consiste à financer la totalité du budget et à prendre tous les droits est aussi un vrai enjeu pour les producteurs indépendants internationaux. Lors de Série Series, le Club des producteurs européens a ainsi plaidé pour un code de bonnes pratiques et la reconnaissance des droits du producteur quand c’est lui qui a développé le projet, d’autant plus quand le développement est soutenu par les fonds publics de l’Europe destinés à soutenir les indépendants.

A cet égard, le décret français SMAD publié quelques jours plut tôt est très ambitieux, exigeant que les deux tiers de l’obligation des plateformes de streaming vis-à-vis de la production européenne et française soient indépendants, avec une définition très stricte d’indépendant : pas de parts de coproduction, pas de mandats de distribution, pas de part dans le capital ni de participations croisées. Mais tout n’est pas réglé, d’autres parties de la réglementation française étant encore en discussion, et les diffuseurs français souhaitant une définition plus souple de la production indépendante et pouvoir notamment conserver les mandats internationaux. Par ailleurs, les règles liées à la production indépendante étant différentes d’un pays à l’autre, peu d’entre eux, à ce jour, n’ont l’ambition d’imposer, dans le cadre de la transposition de la directive européenne, des quotas de production importants aux plateformes comme en France.

Au niveau international, la présentation d’Ampere Analysis soulignait que la multiplication des fusions-acquisitions donnait lieu à davantage de concentration de pouvoir, et, au sujet de la fluidité des droits, à un nouveau modèle davantage intégré selon lequel les grands acteurs américains ont tendance à garder les contenus qu’ils produisent pour leur plateformes, plutôt que de les faire circuler comme auparavant à travers différentes fenêtres et à l’international. « On voit des changements fondamentaux dans le fonctionnement de ces entreprises, mais ce n’est pas tout ou rien, les studios fournissent encore du contenu » tempérait Guy Buisson, directeur général d’Ampere Analysis. Il faisait par ailleurs remarquer que les plateformes coproduisent aussi certaines séries avec les diffuseurs traditionnels en Europe, et que du côté de la circulation des droits, il était d’un autre côté possible de vendre à une plateforme pour six mois puis à une autre. Quand à une possible saturation du marché de la production fiction, dans la phase très competitive actuelle, où les studios s’adressent (via leurs plateformes) directement au consommateur ce qui est nouveau pour eux, où Netflix et Amazon sont bien établis et continuent de commander à tour de bras, il serait difficile pour tous ces acteurs de réduire leurs commandes, a-t-il analysé. En 2020, Netflix est devenu le premier commanditaire de fiction en Europe, ce qui n’est pas anodin. Par ailleurs, avec la restriction de contenus commercialisés par les studios, les acteurs linéaires vont devoir initier davantage de séries eux mêmes. Enfin, le marché de l’AVOD (VOD financée par la publicité) promet de renouveler le type de fictions commandées, cherchant à cibler la famille ainsi que les jeunes audiences, et une meilleure représentativité en termes de diversité ethnique. Une préoccupation qui a, d’ailleurs, également fait partie du discours de tous les diffuseurs lors de Série Series.

This article is the French adaptation of a story originally commissioned and written for TBI, as a result it is available in English there : TBI Weekly: What next for France’s scripted industry?

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