Les plateformes développent plus concrètement la production en France et en Europe et se diversifient

Les plateformes internationales avaient fait le déplacement ce printemps, lors des différentes manifestations professionnelles se tenant à nouveau en présentiel, pour exposer leur stratégie en matière de production originale en Europe, qu’elles sont toutes en train de développer en ce moment.

Encore, et toujours, sur le marché des programmes TV, ce sont les séries qui mènent la danse, et avec le boom de la production lié aux plateformes, une partie de l’activité s’est déplacée en amont. Beaucoup auront ainsi choisi de s’exprimer à SériesMania, dont le forum des coproductions européennes a explosé sa participation fin mars début avril cette année à 3.300 professionnels au lieu des 2.700 pré-covid, « là où les séries commencent » comme la manifestation se plaît à se définir. Netflix et Amazon, implantées depuis plus longtemps, ont également institué un point presse annuel dans les principaux pays où ils sont actifs, dont la France.

C’était avant que Netflix ne jette un froid sur le marché en annonçant sa première perte d’abonnés, mais on sentait déjà que les plateformes devenaient plus prudentes dans leur ambitions. Par ailleurs, si les séries dominent toujours, la production des nouvelles plateformes s’annoncent plus diversifiée que par le passé. L’animation fut peu évoquée mais le Festival d’Annecy à venir mi-juin devrait y remédier, s’attendant aussi à une forte participation, à commencer par celles des plateformes internationales.

Disney+ met en ligne ses premières séries françaises

En France, le développement de la production des plateformes devient plus concret et consistant. Représentatif de cette montée en puissance, le Festival de SériesMania se sera ainsi ouvert et clôturé sur des séries françaises initiées par des plateformes. En ouverture Drôle, créé pour Netflix par Fanny Herrero de Dix pour cent sur le milieu du stand-up parisien était présenté en avant-première la veille de son lancement sur la plateforme, une manière sans doute de susciter une couverture presse plus importante. En clôture, c’était Oussekine, le combat d’une famille, une des premières productions de Disney+ sur l’affaire des brutalités policières ayant débouché sur la mort d’un jeune étudiant d’origine algérienne, qui avait défrayé la chronique dans les années 80. La mini-série, saluée par la critique, a été mise en ligne depuis ce mois de mai à grand renfort de publicité. C’est la troisième série française initiée par Disney+, qui s’est lancé en France il y a pile un an, après la comédie Weekend Family, avec Eric Judor mise en ligne en février, et la série fantastique pour ados Parallèles (également présenté en avant première à Lille) fin mars, deux séries visant un public familial, et diversifiant ainsi davantage les cibles et les genres couverts par la fiction française.

Autre exemple, les productions regroupant un diffuseur hertzien et une plateforme semblent se développer un peu plus. Le grand prix de Séries Mania, Le Monde de demain sur l’histoire du rap français et de NTM produit pour Arte, a ainsi également Netflix comme partenaire. Arte travaille régulièrement avec la plateforme. Jusque là, France Télévisions était peu enclin à le faire, considérant les plateformes comme l’ennemi et la menace ultime, mais commence à faire des exceptions, entré dans deux coproductions impliquant des plateformes, certes qui ne sont pas Netflix. L’une est une série d’action Coeur Noir sur les forces spéciales françaises en Irak, avec Amazon Prime Video, l’autre une série fantastique, Ouija, coproduction franco-Allemande de sociétés du groupe Fremantle avec Starzplay. Une manière pour France Télévisions d’accéder à des productions, d’action notamment, plus chères pour un investissement moindre, d’expérimenter de nouvelles narrations ainsi que des fenêtres de diffusion, France Télévisons étant pour l’une des deux second diffuseur.

Après Netlix, Amazon, et Disney+, à leur tour Paramount+ et HBO Max s’y mettent

Après Netflix, Amazon et Disney+, ce sera au tour de Paramount+ et HBO Max, de se lancer en Europe cette année (la date française n’est toujours pas divulguée), et de développer la production locale avec. Raffaele Annecchino, CEO et President de Paramount Television Studios indiquait à Séries Mania que Paramount+ compte lancer en production 50 titres à l’international cette année, et annonçait un important accord cadre avec Gaumont pour des productions en Europe et Amérique latine sur plusieurs années. Un premier projet de série, français, a déjà été validé, un thriller d’horreur adapté du roman de Maxime Chattam Le Signal, aux références à Steven King et Lovecraft, qui sera développé par François Uzan (Lupin). Trois autres sont en développement, Futuro Desierto, thriller dystopique argentin, Anywhere, dramédie allemande, et Impact, thriller écologique à nouveau français, adapté d’un livre d’Olivier Norek.

Déjà fortement référencé en séries pour les plateformes grâce à Narcos et Lupin pour Netflix, Gaumont, qui dispose de six bureaux à l’international, profite largement du boom de la production de séries TV. Ces dernières lui ont permis d’afficher un résultat en hausse en 2021 malgré une activité cinéma impactée par le Covid, la société produisant plusieurs séries américaines, allemandes, anglaises et françaises pour les streamers : Narcos 6, Barbarian 2, Damage et Lupin 2 pour Netflix, Kaiser Karl sur Karl Lagerfeld pour Disney+, l’animation Stillwater pour Apple TV+, et pour Amazon Prime Video, El Presidente et Totems, série d’espionnage française plutôt remarquée qui vient d’être renouvelée. 

HBO Max était pour sa part extrêmement présent et à Lille et à Cannes, et la queue était immense pour assister à Séries Mania à la présentation par Antony Root, executive VP and head of original production EMEA, de son équipe européenne de HBO Max, la fusion de la maison mère WarnerMedia avec Discovery n’étant pas à ce moment encore effective. Il rappela les objectifs de 40 productions originales en Europe en 2023 contre 10 en 2019 soit quatre fois plus. En fiction, la plateforme souhaite notamment développer des « séries atmosphériques avec une vision d’auteur .» Marquant son intérêt au scénario, HBO Max a annoncé s’associer au Séries Mania Institute investissant 1M$ sur trois ans. En France, les objectifs sont de lancer une dizaine de titres, « et ce sera un volume constant » a tenu à souligner Vera Peltekian, nommée en octobre dernier à la tête de la production en France. Elle a ajouté souhaiter faire des incursions dans la dramédie, la comédie, le fantastique, et être à l’inverse moins attirée pas les séries policières, déjà pléthore en France. Depuis, HBO Max vient par ailleurs de frapper un grand coup, signant un accord avec Omar Sy en tant qu’acteur et producteur pour le développement de séries, alors que ce dernier est déjà en accord avec Netflix concernant la production de films.

L’unscripted prend sa revanche

Si le boom a pour l’instant porté surtout sur la fiction, l’avenir s’annonce plus diversifié. HBO Max a ainsi surpris, annonçant que les commandes à l’international ne porterons pas que sur des séries, mais aussi sur de l’unscripted (programmes non scénarisés), documentaires, mais aussi, plus inattendu venant d’un profil cinéma-séries comme HBO, émissions de divertissement et télé-réalité.  « Nous allons bientôt avoir notre premier concours de chant » illustrait Antony Root. Le 1er avril, HBO Max lançait effectivement One True Singer, son premier talent show roumain décrit comme à la frontière entre télé-réalité et concours de talent.

Ce développement dans l’unscripted européen fait suite à celui déjà opéré aux États-Unis, les plateformes, alors qu’elles cherchent à ratisser plus large, diversifiant leur offre, et, outre certains documentaires, la télé-réalité marquant de plus en plus de points sur les plateformes en termes d’audience notamment les émissions de rencontre sur Netflix. Le dernier format en date de HBO Max, My Mom Your Dad, avait d’ailleurs quelques jours plus tard les faveurs de la conférence de The WIT au MipTV à cause de son concept, un autre de ces dating shows où ce sont les enfants à l’age de l’adolescence qui cherchent à caser leurs parents et commentent leurs rencontres… HBOMax a également renouvelé aux États-UNis, FBoy Island, une téléréalité se déroulant sur la traditionnelle ile paradisiaque, où les candidates doivent discerner lesquels de leurs prétendants ne sont que des Fboys (fuckboys)… Le fait que le groupe propriétaire de HBO Max, WarnerMedia soit fusionné avec Discovery, très actif en télé-réalité, ne devrait qu’encourager la tendance.

Amazon fier de ses deux séries documentaire françaises

Pour sa part, c’est dès le début qu’Amazon Prime Video avait intégré la commande de quelques programmes unscripted en Europe, notamment de télé-réalité, comme en Italie avec Celebrity Hunted, un concept où les célébrités doivent fuir et se cacher comme des fugitifs, depuis adapté et renouvelée en France, tout comme LOL, divertissement dans lequel des célébrités doivent s’empêcher de rire aux bêtises des autres, dont la saison 2 resta plusieurs semaines en tête du top10 d’Amazon récemment en France. LOL (la photo en illustration de cet article) devient un véritable format Amazon, adapté au niveau local dans de plus en plus de territoires.

A Séries Mania, la patronne des originals d’Amazon Studios Georgia Brown, après s’être félicitée d’avoir lancé 50 productions européennes depuis 2019, tenu à souligner « l’énorme diversification » effectuée ces derniers temps en matière de contenus, ajoutant, avec la concurrence accrue, « mettre la barre plus haut en termes de qualité ». Elle cita comme exemples réussis deux séries documentaire françaises, celle, renouvelée, Montre jamais ça à personne, qui entre dans l’intime du rappeur Orelsan, réalisée à partir d’images filmées par son frère depuis son plus jeune age, et celle à venir sur le joueur de football Paul Pogba The Pogmentary qui utilise notamment l’animation, et accompagne la diversification d’Amazon Prime Video par ailleurs dans le sport. La comédie quelque soit sa forme est un axe fort d’Amazon, Georgia Brown citant notamment le film original I Love America avec Sophie Marceau. Côté fiction, un gros pari artistique est la série britannique à venir Jungle, comédie musicale se déroulant dans l’univers du hip-hop ou plus exactement du courant musical grime & drill à Londres, qui aura demandé quatre ans de travail.

Depuis, cet événement Amazon Prime Video a également tenu le 12 avril un showcase à Paris annonçant 11 nouvelles productions françaises cette année assez diversifiées, de la comédie avec une série fiction proposée par Nicolas Bedos et Jean Dujardin, produite par Alain Goldman, Alphonse, ou encore une émission de dating (encore..) basée sur la voyance présentée par Nabilla, devenue habituée de la plateforme qui lui a déjà dédié une série docu-réalité.

La fin du quoi qu’il en coûte?

Trois séries déjà livrées chez Disney+, objectif d’une dizaine de productions chez HBO Max, un peu plus chez Amazon, sans doute un peu moins chez Paramount, l’effort des plateformes en France devient donc concret et conséquent, même s’il n’atteint pas les niveaux de Netflix. Pour sa part, Netflix avait tenu sa conférence, similaire, le 10 Mars, annonçant 25 productions tous genres confondus à sortir cette année, dont beaucoup de films unitaires aux cotés des séries fiction, comme la suite de De l’autre côté du périph avec Omar Sy, qui a démarré en tête du top 10 des films en langue non-anglaise sur Netflix le weekend de son lancement, ainsi que, là aussi, de l’unscripted avec un concours de rap français Nouvelle Ecole dont le lancement vient d’être annoncée pour juin, en documentaire, la série, sortie depuis, et elle restée dans le top uniquement une semaine, Johnny par Johnny (sur Johnny Halliday), ainsi qu’à venir un film sur Carlos Ghosn, ou encore l’histoire de la secte Raël.

Depuis la plateforme star doit gérer sa première crise d’abonnements, même si elle pense renouer avec la croissance sur le plus long terme, et tout se tend. Selon la presse, une première victime en France est la série de Fanny Herrero, Drôle, qui a eu un succès limité, et n’est pas renouvelée, ce à quoi sa créatrice, déçue, ne s’attendait pas, Netflix ayant beaucoup aimé la série et validé, enthousiaste, les deux tiers des épisodes de la suite à venir, a-t-elle confié à Télérama. Mais Netflix n’a semble-t-il plus le temps. « Espérons qu’elle sera repêchée par une autre plateforme, cette série avait du potentiel » pouvait-on lire sur Twitter.

Même avant ça, des signaux semblaient indiquer que les temps sont moins au grand faste. Lors de Séries Mania, Antony Root a pour sa part tenu à précisé que les budgets de HBO Max seront diversifiés « on ne peut pas faire que des super-productions chères» avait-il souligné. La fin de l’open bar et du quoi qu’il en coute que semblaient véhiculer les plateformes? Si Netflix avec ses 220 millions d’abonnés semble saturer, les plus récentes comme HBO Max et Paramount+ sont loin d’avoir fait le plein, et continuent d’afficher des hausses au premier trimestre, de même que Disney+, en forme, tandis que pour ancrer leur développement nécessairement international, elles sont acculées à produire local.

FAST channels, futur débouché pour les coproductions internationales?

Alors que la SVoD voit ses perpectives de croissance se réduire, à Lille comme à Cannes, on entendait parler de plus en plus de l’expansion, aux États-Unis tout du moins, de l’AVoD (Ad-supported Video on Demand) et des FAST channels (Free Ad-supported Streaming TV), c’est à dire les chaînes linéaires diffusées en streaming gratuitement avec publicité (comme Pluto TV par exemple). Des chaînes au départ pour beaucoup thématiques et de catalogue, qui constituent davantage un nouveau débouché pour la vente de programmes, payant moins cher que la SVoD mais prenant des doits plus courts et moins exclusifs par exemple, ce qui a comme résultante tout un nouveau travail de fenêtrage, a expliqué lors d’un panel sur le sujet à Lille la distributrice Nina Lerderman, EVP global scripted development de Sony Pictures Television.

Certaines FAST channels se mettent cependant elles aussi à développer davantage la production, pour l’instant aux États-Unis surtout, comme Amazon Freevee, nouveau nom d’ImdbTV dont Amazon a annoncé l’implantation en Angleterre et en Allemagne, ou, du côté de Fox, Tubi, ou encore Roku Channel (la chaîne FAST du lecteur multimedia), avec le lancement de premières fictions originales (le flux demeurant cependant majoritaire). « D’une part les budgets sont en train d’augmenter, d’autre part tous les programmes n’ont pas forcément besoin d’être chers » commentait Nina Lerderman, « Il faudra vraisemblablement développer davantage les coproductions pour financer tout ça ». Depuis une première coproduction internationale entre un acteur FAST aux États-Unis, Roku Channel, et Channel 4 en Angleterre a été annoncée, un jeu d’aventure de télé-réalité, Tempting Fortune. Pour sa part, Cristian Liarte, director of originals Europe de RakutenTV, qui a une centaine de chaînes FAST en Europe, indiquait qu’un nouveau business model avait été développé avec les annonceurs, qui peuvent investir en amont, non en tant que sponsor, mais de coproducteur, comme dans le cas d’un documentaire financé à 50/50 avec Rolex en échange 50% des droits comme n’importe quel partenaire financier.

Producteurs et groupes audiovisuels tout émoustillés 

Forcément, les producteurs étaient nombreux à avoir fait le déplacement à Séries Mania, trépignant d’impatiente de pouvoir enfin profiter pleinement du boom volumétrique et créatif qu’apportent les plateformes, alors que le spectre du Covid semblait s’éloigner enfin, même si celui de la guerre en Ukraine s’invitait. Et c’est avec des yeux gourmands et un immense sourire que répondit Lionel Uzan, le DG de Federation Entertainment, à une question sur les conséquences de la nouvelle réglementation des plateformes en France, les décrets de juin ayant été complétés des conventions avec les plateformes en décembre. Le décret requiert en effet que les 2/3 de la production des plateformes soit indépendante, avec une définition stricte du terme, permettant aux producteurs de détenir les droits.  Ce n’est donc sans doute pas un hasard, si la France voit ses groupes audiovisuels se développer, et continuer d’acquérir des sociétés à tour de bras, le fait qu’ils puissent conserver les droits encourageant l’investissement de financiers. Tous étaient présents, les Banijay, Mediawan, Newen, Asacha Media.. à Séries Mania, participant aux conférences, avec pour la plupart leur espace et canapé au dernier étage.  L’intérêt des financiers pour les séries avait d’ailleurs fait l’objet d’une table ronde. 

Encore une place pour les indépendants?

La forte tendance actuelle à la concentration se poursuit, beaucoup des séries produites pour les plateformes le sont par des sociétés achetées avant ou après par des groupes, notamment le très actif Federation Entertainment, ou par des producteurs cinéma qui entrent dans la danse, parfois s’adossant eux aussi à des groupes comme Alain Goldman avec Banijay. En fiction, genre de plus en plus onéreux, il peut sembler difficile de rester indépendant, même si des financements peuvent tout de même se trouver, notamment quand on peut présenter une ligne assez conséquente de projets. C’est dans cet esprit que Haut et Court rappelait avoir créé l’association de producteurs européens The Creative, mettant en commun leurs projets pour constituer un volume attractif et passant un accord pour l’ensemble sur trois ans avec le distributeur Fremantle. « Cela nous permet de rester des boutiques, nous voulions être plus fort pas plus gros » commentait Caroline Benjo, co-fondatrice. Le secteur n’en n’est pas moins devenu ultra-concurrentIel, faisaient remarquer les panélistes, tandis que trouver des partenaires devient tout un art, la phase du développement étant devenue beaucoup plus chère, et si l’on se marrie trop tôt on perd sa liberté créative et ses droits. Le futur semble donc se placer sous le signe des alliances. La concentration a pour l’instant surtout sévit en fiction et dans le flux, quelques mouvements ayant eu lieu dans le documentaire mais peu, genre qui n’est pas non plus le plus développé côté plateformes, et quasiment pas, pour l’instant, côté animation. Par ailleurs, même pour les groupes audiovisuels un avenir prospère n’est pas forcément garanti. Si le nombre de clients augmente, y compris, grâce au décret, avec la perspective de garder des droits, du côté des clients traditionnels, la fusion TF1-M6 inquiète, ainsi, depuis, que le futur du service public, d’autant depuis l’annonce de l’arrêt de la redevance.

Update 10/06/22 : la veille d’Annecy, Netflix a annoncé huit nouveaux projets d’animation avec l’Europe dont deux avec la France

Update 5/7/22 : avec la fusion en cours Warner Bros Discovery, qui va chercher à économiser 3Md$, HBO Max réduit ses ambitions en matière de production originale en Europe, arrêtant les développements en cours dans les pays nordiques et l’Europe centrale, et va certainement changer de nom et de visage. WBD est en effet en train de travailler au regroupement de Discovery+ et HBO Max. Voir l’article expliquant la situation.

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