Grève des scénaristes aux États-Unis : le streaming bouleverse les modes de production et donc de rémunération des auteurs

Ce début mai, démarrait la tant redoutée grève des scénaristes aux États-Unis, qui risque, comme les précédentes, de fortement paralyser la production de fiction (et pas seulement) aux États-Unis. Le 1er mai dernier, les scénaristes américains faisant partie de la toute puissante Writers Guild of America votaient en effet à 97.85% le déclenchement de la grève dès le lendemain, après qu’aient échoué les discussions avec les streamers et majors américaines durant six semaines. 

La négociation avait lieu avec les groupes américains Netflix, Amazon, Apple, Disney, Discovery-Warner, NBC Universal, Paramount et Sony par l’intermédiaire de l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP).   Mais les deux parties n’ont pas trouvé de terrain d’entente sur un grand nombre de points dont certains cruciaux.

« Les réponses à nos propositions furent loin d’être suffisantes étant donnée la crise existentielle que traversent les scénaristes » indique ainsi dans son communiqué la WGA qui craint que leur statut ne devienne de plus en plus précaire. La Guild dénonce la dégradation des conditions de travail et de rémunération des scénaristes depuis la montée en puissance du streaming,  “alors même que les budgets des fictions ont grimpé en flèche lors de la dernière décennie”, souligne-t-elle.

Des conditions de travail dégradées

Elle reproche notamment que, sous prétexte d’une transition vers le streaming, le travail d’écriture ait été séparé de la production, ouvrant la porte à des dérives. Des scénaristes sont engagés sur une série TV au plus petit tarif minimum syndical quelle que soit leur expérience, pour de plus courtes périodes, avec des contrats plus précaires, tandis que les writers’ rooms, ou ateliers d’écritures, se sont transformés en mini-rooms, comptant moins de scénaristes. “Les showrunners se retrouvent même parfois sans plus aucun auteur pour terminer la saison”, illustre la WGA. Par ailleurs, le salaire est souvent étalé sur plusieurs mois et même parfois pris en otage par les producteurs afin d’obtenir du scénariste davantage de travail gratuit, ce qui rend la situation intenable pour ceux payés au minium syndical, dénonce encore la WGA. Phénomène renforcé par la multiplication des pré-développements, effectués avant qu’il n’y ait une commande ferme (donc un budget). 

Mini-séries de streamers et séries récurrentes de networks, deux processus différents

C’est que la moitié des scénaristes travaillent dorénavant pour des séries destinées au streaming, dont les méthodes de production diffèrent radicalement de celles des networks, modèle qui auparavant prévalait. Rappelons que pour les séries des networks, des pilotes sont tout d’abord produits et présentés aux Upfronts et L.A. Screenings en mai avant de partir en production pour un lancement la rentrée suivante. Des ateliers d’écriture robustes se mettent alors en place sous la direction du showrunner afin de tenir le rythme et d’être capable de livrer et tourner dans la foulée selon un calendrier précis.

Mais les séries et mini-séries des streamers répondent à une logique totalement différente, aucun pilote n’étant produit, et l’écriture pouvant être menée indépendamment. Il n’y a plus de calendrier typique. Leurs saisons comporte (moitié) moins d’épisodes, les scénaristes sont donc engagé pour moins de temps et touchent donc aussi moins, or, la complexité de ces séries les rend plus longues à écrire, et le temps réellement passé est au final le même que sur une série network estime la WGA.

La Guilde cherchait donc à obtenir que les studios s’engagent sur une durée de contrat et un nombre de scénaristes minimums par série, et à s’assurer qu’une partie d’entre eux soient présents sur toute la durée de la production. Qu’il soit notamment prévu qu’ils puissent venir sur le plateau (devenu moins automatique), ne serait-ce que dans un soucis de formation des nouvelles générations.

Discrète dans un premier temps, l’AMPTP a ensuite répondu en publiant le jeudi 4 mai un document de quatre pages (envoyé à certains journaux mais non disponibles sur son site), répondant point par point. Elle argue qu’il n’est pas possible d’allouer aux writers rooms des tailles ou des durées de vie minimums, car cela obligerait à mobiliser des équipes à des moments où elles ne sont pas forcément nécessaires.  Doter les ateliers d’écritures d’un nombre minimum de scénaristes serait par ailleurs incompatible avec la nature même du processus créatif, estime-t-elle encore, ainsi que tout ce qui tendrait à aller vers une formule unique, chaque projet étant différent, tandis certains auteurs aiment travailler avec de petites équipes, illustre t-elle.

Droits secondaires impactés

Les négociations ont également échoué sur deux autres points essentiels, les avantages sociaux (compensation) et droits secondaires (residuals) des auteurs d’une part, l’intelligence artificielle de l’autre.

L’exploitation des programmes, elle aussi, a changé du fait du modèle de ces plateformes de streaming globales. Sur une plateforme à la demande, il n’y a pas de rediffusion, et les séries ne sont souvent plus non plus vendues à l’international, ce sur quoi les auteurs étaient intéressés. La Guild souhaite que les auteurs soient associés au succès de leurs oeuvres en touchant des droits selon l’audience du programme, mais ce qui obligerait les streamers à davantage de transparence. Aucun n’accord n’ été trouvé sur ce point.

Elle propose également que, en ce qui concerne les foreign streaming residuals, les auteurs touchent des droits selon le nombre d’abonnés de ces plateformes à l’international. Ce en quoi AMPTP serait d’accord mais pour des montants bien moins forts. L’AMPTP rappelle qu’une augmentation substantielle des streaming residuals a déjà été accordée lors des dernières négociations en 2020 avec effet en 2022,  elle ne commence donc à peine à être perceptible par les auteurs, tandis que ce demande la Guild ne tient pas compte du fait que les prix d’abonnements varient selon les pays, défend-elle.

La menace de l’intelligence artificielle

Enfin s’est invitée à la fête l’intelligence artificielle, dont les récents progrès spectaculaires inquiètent les auteurs au plus haut point. En l’état actuel de la technologie, les scénaristes craignent notamment que les studios n’utilisent l’IA pour par exemple développer des projets (l’IA travaillant à partir de choses qui ont déjà été créées) qu’ils auraient alors à re-writer sans ne plus toucher de droits d’auteurs. La WGA dans son document propose que ce qui est développé par l’IA ne puisse pas être considéré comme matériel source, que des scénarios existants ne lui soient pas donnés pour l’entrainer, qu’on ne lui confie pas l’écriture ou la réécriture de nouveaux scénarios.

Aucun d’accord n’a été trouvé sur ce point là non plus, non que les studios ne veulent pas, mais ils demandent davantage de temps, soulignant que les auteurs voudraient eux aussi pouvoir s’en servir sans que rien ne change. « Nous sommes des sociétés créatives et respectons le travail créatif” écrivent-ils. “Les meilleures histoires viennent souvent d’experiences personnelles. L’IA soulève des questions juridiques et artistiques importantes pour tous. (…) ce qui requiert de mener des discussions bien plus longues, ce que nous nous sommes engagés à faire”. 

De manière générale, le document de l’AMPTP s’oppose à la plupart des constatations et chiffres de la WGA, réfutant que les auteurs soient engagés pour des durées plus courtes ou que le métier de scénariste ne devienne plus précaire, et mettant en avant les sommes importantes qu’ils peuvent toucher et le fait que leurs avantages sociaux sont souvent plus importants que ceux de travailleurs à plein temps. A l’inverse, les déclarations publiques individuelles des responsables de studios se font en général plus soft. Les accords avec les réalisateurs arrivent aussi bientôt (en juin) à échéance, et eux aussi souhaitent une revalorisation de leurs droits. Les discussions avec la Directors Guild of America doivent démarrer très prochainement.

Talk-shows humoristiques les premiers touchés

Pour l’instant, alors que ce sont les plateformes qui sont visées, ce sont surtout les networks qui sont immédiatement touchés (même s’ils appartiennent aux mêmes groupes), les premières conséquences étant l’arrêt des late night shows des networks, talk-shows de seconde partie de soirée très écrits qui ont recours à grand nombre d’auteurs pour les gags et les punchlines. Ils sont remplacés par des rediffusions. Par ailleurs, le déclenchement de la grève se produit à quelques jours du début des LA screenings où les diffuseurs présentent leur grille de rentrée aux annonceurs afin de leur vendre de la publicité. Les productions de séries des streamers se trouvent elles aussi les unes après les autres mises en stand-bye, comme la prochaine saison de Stranger Things, ou celle de Severance, même si avec le décalage de production la grève ne menace pas encore le rythme de livraisons.

La dernière grève des scénaristes américains date de 2007 et avait duré trois mois. La plus longue est celle de 1998 qui avait duré cinq mois. Pour parer à l’absence de scénaristes affectant notamment la production de fiction, elle avait notamment débouché sur la commande de Cops, une des premières émissions labélisées télé-réalité.

Selon la presse professionnelle américaine, si la grève dure, l’impact risque d’être assez fort chez Fox, Disney, Apple, Paramount, et un peu moins chez Amazon Prime Video et Netflix (qui a d’ailleurs déclaré avoir assez de programmes en production pour tenir).

Notons que le système étant totalement différent en Europe (et encore plus en France avec le droit d’auteur), il est difficile de comparer avec ce qui se pratique ici. Ironiquement, alors que l’Europe a toujours regardé avec envie les États-Unis et leurs ateliers d’écriture, les nouvelles méthodes de travail tendent à se rapprochent plus de ce qui se pratique ici.

Quelques visuels publiés sur les réseaux sociaux :

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