La production audiovisuelle aidée par le CNC se tasse en 2022, premiers pas indépendants des plateformes

La production d’oeuvres audiovisuelles soutenues par le CNC a accusé une baisse de 13 % l’an dernier à 4 005 heures, soit 477 heures de moins.  Le CNC l’attribue à un retour à la normale après les bas et les hauts liés à la crise sanitaire. Le volume de production avait en effet baissé en 2020 à cause de la pandémie et des arrêts de tournage, puis était fortement remonté en 2021 avec l’effet de rattrapage. Cependant, si l’on compare à l’avant Covid en 2019, les chiffres sont tout de même en baisse d’une centaine d’heures. C’est même, après 2020, le second plus bas niveau de la décennie. Et les devis diminuent davantage : -22% par rapport à 2021 à 1 502,7M€

Certes, ne sont prises en compte ici que les oeuvres bénéficiant du compte de soutien du CNC, ce qui n’est pas le cas de toutes celles initiées par les plateformes SVoD internationales comme Netflix, seules leurs productions indépendantes pouvant y prétendre, c’est à dire celles dans lesquelles elles ne détiennent pas tous les droits (depuis l’an dernier elles ont des obligations dans la production française dont 2/3 d’indépendant).

Le fonds plateformes, encore en 2022 expérimental et sélectif, a permis l’an dernier d’aider 14 projets indépendants destinés exclusivement à une plateforme étrangère (elles participent aussi à d’autres en complément de financement), a dévoilé le CNC, dont 10 projets fiction, 3 documentaires et 1 d’animation, financés en moyenne par les streamers à 71%. Il y en a eu bien plus, et il est fort probable que, tout compris, la production française soit donc en hausse. Il n’empêche, les chiffres font tout de même apparaitre une certaine retenue l’an dernier des acteurs traditionnels, même si elle n’est peut-être due qu’à un nouveau décalage.

Fiction, mieux financée grâce aux streamers

Par genre, l’an dernier la fiction aidée par le CNC a accusé une baisse de -18% à 1 083 heures, le seul genre en revanche à être en hausse par rapport à 2019 (+43 heures). Les devis sont davantage en retrait (-21% à 870 M€), ce qui est dû au poids croissant des feuilletons quotidiens, commente le CNC. Ils ont pesé près de 49% du volume horaire (24,5% des devis) contre 44% en 2021, et font baisser le budget moyen. En 2022, le nombre de feuilletons quotidiens sur les chaînes hertziennes était au plus haut. A noter cependant qu’en novembre dernier, France 3 a arrêté Plus Belle la Vie, ce qui pourrait avoir un impact sur le volume pour les chiffres 2023.

L’investissement des diffuseurs dans la fiction se réduit proportionnellement moins, leur poids dans le financement des oeuvres en conséquence s’améliore, à 62% des budgets. Mais c’est grâce aux streamers qui financent mieux que les autres, explique le CNC.

L’an dernier Netflix, Prime Video et Disney+ réunies ont apporté 44M€ dans 20 heures de fiction aidée par le CNC au budget horaire élevé (3M€), soit un apport de 2,2M€ par heure, le double de l’apport moyen de Canal+, le diffuseur le plus actif jusqu’ici dans la fiction haut de gamme.

Financement de la fiction (source CNC)

Parmi les oeuvres de fiction ayant bénéficié du fonds sélectif plateforme, on trouve une série ambitieuse pour Disney+ Tout va bien avec Virginie Effira, et, pour Prime Video, après Darknet sur mer en 2021, une nouvelle série de demi-heures, Escort Boys, et le film Drone Games. Des long-métrages aussi et surtout pour Netflix dont Banlieusard 2 avec Kery James, Nouveaux riches et le récent film d’action à succès AKA (la photo en illustration de cet article).

Hors plateformes mondiales, le financement des diffuseurs traditionnels baisserait à 57 %, son plus bas niveau historique, note le CNC. Le groupe France Télévisions demeure le premier commanditaire de fiction (531 heures), devant le groupe TF1 (402 heures). A noter que M6 et OCS qui avaient toutes deux augmenté leur investissements les deux années d’avant, reviennent en 2022 à leurs moindres niveaux antérieurs.

Les apports étrangers en baisse dans la fiction et l’animation

Les financements étrangers dans la fiction accusent pour leur part une baisse importante de moitié, ne représentant plus en moyenne que 4% des budgets. A relativiser car cela fait suite à une année 2021 tout à fait exceptionnelle, tempère le CNC. Quatre coproductions avaient été réalisées au titre de l’Alliance de France Télévisions en 2021 contre une seule en 2022, et plusieurs séries ambitieuses avait suscité de forts pré-achats internationaux comme Marie-Antoinette. Néanmoins, il y a un repli certain dans les coproductions, ne serait-ce qu’en termes de partenaires, la Belgique et l’Allemagne représentant 78 % des apports étrangers, dont 49 % pour la Belgique seule. Sept séries récoltent plus d’1M€ à l’international, dont Ouija, la saison 4 des Rivières pourpres et la saison 3 de Parlement (pour France TV).

En partie à cause d’une année là aussi moins prolifique, les coproductions et pré-ventes internationales chutent aussi en animation, genre le moins bien financé par les chaînes pour lequel elles sont absolument nécessaires. Les apports étrangers perdent plus de la moitié de leur valeur par rapport à 2021, ne représentant plus que 24% des budgets contre 29% l’année précédente. Si le financement international est moindre, le nombre d’heures en ayant bénéficié est au maximum : 86% du volume, soit 191h, la plus forte proportion enregistrée sauf en 2016 (91%).

Animation, le très bas du cycle

C’est que l’animation accuse en 2022 une baisse de 38% à 221 heures, son plus bas niveau en dix ans, même si c’est après une année 2021 particulièrement dynamique, tient à souligner le CNC, qui rappelle que le genre est cyclique alternant années hautes et basses.

Par rapport à 2019, la baisse est de -25%. Une des raisons est un nombre plus faible d’épisodes par série, et un renforcement des séries courtes indique le CNC. Ainsi 50 séries (1 618 épisodes) ont été produites en 2022, soit quasi le même nombre que les 52 de 2019 (52) mais elles comptent 74 heures de moins. Les séries courtes (moins de 8′ par épisode) représentent 40% des heures contre 25% seulement en 2021 et 29% en 2019.

Les devis sont en baisse de -42%, et le coût moyen de l’heure qui avait flambé ces dernières années, de -6% à 825K€, ce qui demeure un de ses plus hauts niveaux, un peu plus élevé que la fiction (803K€).

La part des diffuseurs dans les budgets est stable un peu au dessous de 22%, leur investissement ayant diminué proportionnellement. Dans le détail, la baisse provient surtout des chaînes privées, ce qui renforce le poids de France Télévisions comme premier commanditaire d’animation. Le groupe public, qui a initié 21 séries, est ainsi responsable de 51% du volume horaire (37% en 2021).

Financement de l’animation (tableaux CNC)

Suivent les groupes Canal+ et M6, à égalité à 44 heures (-38% et -35%), Canal+ est un peu en dessous de sa moyenne en termes d’investissements, M6, qui a racheté les chaînes enfants de Lagardère dont Gulli, très en dessous par rapport à l’année d’avant, et à l’addition M6+Lagardère les années précédentes. TF1, normalement plus puissant, accuse l’une des plus fortes chutes ayant investi dans 20h (-66%).

Les plateformes, surtout actives en animation en prestation de service

L’autre baisse importante est celle du groupe Disney , qui a contribué à la production de 10h seulement (dont une série en premier diffuseur) contre une moyenne de 42h ces dix dernières années, non compensé, en tout cas l’an dernier, par d’éventuelles commandes de productions indépendantes pour sa plateforme. Un seul programme d’animation indépendant destiné à une plateforme mondiale a en effet bénéficié du compte de soutien spécifique experimental l’an dernier, produit pour Netflix, le CNC ne dévoilant aucun détail supplémentaire.

Les plateformes ont cependant joué un rôle important pour amener du travail aux studios d’animation en tant que prestataires de service. Le CNC ainsi souligne la croissance du nombre de productions exécutives ayant bénéficié du crédit d’impôt international: 19 programmes en 2022 dont 13 commandés par les plateformes mondiales, contre 15 en 2021 et 12 en 2019.

Le documentaire repart à la baisse

Le documentaire est à nouveau en baisse de près de 11% en 2002, à 1 669 heures. Outre un léger rebond l’année d’avant, le nombre d’heures ne fait que chuter depuis son pic de 3 000 heures en 2013. A l’époque, beaucoup de magazines et programmes de flux passaient dans les mailles du filet et profitaient du compte de soutien, qui avait donc été recentré, ce fut à nouveau le cas plus récemment. Mais pas en 2022, où les chiffres baissent malgré une stabilisation du périmètre, indique le CNC. Les devis perdent proportionnellement moins, -7% à 341 M€, le genre continuant lui aussi de connaitre une certaine l’inflation. Le cout horaire progresse de 4% à 204,5 K€ son plus haut niveau depuis toujours (sauf en 1994).

Financement du documentaire (CNC)

Les plateformes n’ont pas non plus un rôle encore déterminant dans la production de documentaires indépendants, seuls trois projets pour Netflix, Disney+ et Prime Video ayant bénéficié du compte de soutien expérimental sélectif l’an dernier. Parmi ceux-ci Lambert contre Lambert mini-série traitant du sujet de l’euthanasie pour Disney+, et pour Prime Video Guy Roux, une histoire de France.

La production de documentaires pour le digital cependant augmente. Au total 22 services en ligne (y compris ceux de France Télévisions et d’Arte) ont ainsi commandé des documentaires en 2022 contre 12 en 2021, les investissements représentent 5% du total.

Pour leur part, les diffuseurs traditionnels diminuent leur apport de 9 %, leur part de financement des devis étant encore en baisse à 44,7 % (-0,7 point vs 2021 et – 1,7 pt vs 2019). Les chaînes publiques représentent 68 % des investissements (France Télévisions 47% avec 755 heures et Arte 16% avec 230 heures) les deux étant en léger retrait. A l’inverse, le groupe Canal+ augmente ses investissements de 33% à 19,5 M€ participant au financement de 259 heures.

Une bonne nouvelle, les financements internationaux remontent dans le cas du documentaire de près de 6% à 25,4M€ retrouvant un niveau d’avant crise, les pré-achats étant particulièrement en forme. En 2022, quatre programmes totalisent plus de 500 K€ de pré-achats étrangers, contre aucun en 2021, dont un (Une intelligence de l’histoire, 8×45’ chez Thematics Prod), plus de 1M€, fait qui ne s’est produit que sept fois depuis 2007, note le CNC. On compte 317 heures de coproductions majoritaires françaises et 57 heures de minoritaires.

Quand aux genres de documentaire, 2022 voit ceux dédiés à la société progresser pour atteindre plus de 50% (+3,8 points) ainsi que dans une moindre mesure ceux sur le sport à 6,8% (+2,4 pts), au détriment de l’histoire qui tombe à 12,6% (-5,8 points), les autres variations étant minimes.

Un secteur en évolution

L’avenir dira si ces tendances ne sont dues qu’à des décalages d’une année sur l’autre ou à des évolutions qui s’installent. On le voit, la fiction demeure l’attraction principale des plateformes y compris en production indépendante même si quelques documentaires en ont tout de même fait partie, et il est intéressant de voir que chez Netflix ce sont surtout des films que la plateforme laisse être indépendants. A noter cependant que le fonds plateformes du CNC n’étant encore qu’expérimental en 2022 , ce n’est sans doute pas encore une année pleinement représentative. Les organisations professionnelles ont pu négocier des sous quotas par genre avec certaines d’entre elles comme Amazon Prime Video. Côté acteurs traditionnels, par ailleurs, de nouveaux accords ont été signés avec TF1 et M6 dans le cadre du renouvellement de de leur fréquence TNT, y compris certains sous quotas pour les genres plus difficiles que sont le documentaire et l’animation. L’investissement du groupe M6 en animation par exemple devrait donc remonter. Quand au service public, son nouveau cahier des charges est actuellement en train d’être négocié.

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